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Par Agnesse Krédy

Kouakou N’gbra, l’imperceptible
Il rajoute à sa canne blanche, la conduite par son Iphone. Il est Kouakou N’gbra Guillaume né pratiquement aveugle. Et ce garçon aurait dû, selon son professeur de Lycée faire la manche, traîner, mendier. Mais lui Kouakou s’est construit un autre sort à qui il a fait décider tout autre chose. Il est finalement un brillant enseignant (plutôt inspecteur principal option éducation de par son emploi et formateur en pédagogie spécialisée pour aveugles de par sa fonction) doublé d’un informaticien fécond après un glorieux parcours de major de promotion.
Après 18 ans en qualité d’enseignant de pédagogie spécialisée et informatique adaptée à l’Institut National de Formation Sociale (INFS), N’gbra, le non voyant, rêve de nouvelles aventures professionnelles. Dans les finances plus précisément aux impôts, aussi dans les lettres. Des objectifs pas trop grands pour celui dont la vie n’a été qu’une avalanche de défis relevés. Cinq fois humilié, N’gbra le déficient visuel, s’en est sorti 5 fois grandi.
Grandi et grand comme ce site dont il est fier. www.hanhimanti.com . Ce site est aussi son cabinet de formation en informatique et de consultation en déficience visuelle qu’il conçoit en parfait autodidacte. Ensuite cette indépendance financière, une maison, une épouse, des enfants… Kouakou N’bgra, 45 ans a l’assurance de celui qui a réussi ou qui peut se targuer d’avoir réussi. Il est distingué par le Président Alassane Ouattara en avril 2015. N’gbra participe à des émissions à la télévision nationale où on peut le voir devant son ordinateur, les yeux rivés sur son écran, maniant les touches de son clavier avec dextérité. Son handicap est imperceptible. Il se déplace très souvent sans sa canne blanche aussi bien sur son lieu de travail qu’à son domicile, parle et fait parler les mains agiles dans un français aux accents chantant à un rythme calme et tempéré. Seule la petite voix qui émane de ses enceintes et son inséparable iPhone le trahit. « C’est une synthèse vocale qui me permet de lire mes mails, d’effectuer des appels et de retranscrire oralement tout ce que je tape », souligne le futur auteur. Bientôt « Les dessous d’une cécité » son premier livre sera sur le marché.
La seconde vie de celui à qui tout sourit aujourd’hui débute péniblement il y a 42 ans lorsqu’il en a 3. Malvoyant depuis le berceau, le jeune élève du Lycée de Dimbokro (plutôt l’ex collège d’enseignement général CEG actuel Lycée moderne de Yopougon Andokoua) peuplés d’âmes venues d’horizons divers affronte discriminations et difficultés liées à son handicap alors qu’il entame tout juste ses premiers pas en sixième. « J’ai demandé à mon professeur de me dicter les cours ou lieu de les écrire au tableau. Enervé, il me demande de rejoindre la rue pour mendier comme mes semblables. J’ai eu envie d’entrer dans le sol, de disparaître complètement », avoue-t-il. Depuis son troisième anniversaire, le jeune N’gbra porte les séquelles de la rubéole, qui se manifeste par une perte brutale et totale de la vue. Mais Kouakou N’gbra a ce qu’on pourrait qualifier de mémoire d’éléphant. Aucun souvenir ne lui échappe. Tous les détails marquants de sa vie sont retranscrits avec une précision déconcertante. « C’est ma maitresse du préscolaire, Mme Suzanne qui s’est rendue compte de mon handicap. Elle a informé mon père qui plongé dans le déni, refusait d’admettre la réalité. » C’est à Abidjan, après plusieurs consultations dans trois cliniques différentes que le diagnostic tombe : L’enfant N’gbra est aveugle. Une claque pour son père Konan Kouakou Gilbert, lui-même infirmier d’état et géniteur protecteur de 16 enfants.
Le non voyant est inscrit en primaire de 1985 à l’Institut National Ivoirien pour la promotion des Aveugles où l’écolier décroche son certificat d’étude primaire et élémentaire (CEPE). S’enchaine le Brevet d’étude du premier cycle BEPC au Collège d’enseignement général- de Yopougon en 1990. Il est orienté en seconde C au Lycée Classique d’Abidjan. Là-bas, ‘‘les caïmans’’ se combattent et la loi du plus fort fait rage en plein cœur de la cité orgueilleuse de Cocody. Le jeune lycéen arrive au mauvais moment et subit une seconde discrimination : les traditionnels traducteurs et accompagnateurs en braille pour non-voyants de son établissement cessent toute activité en raison de manque de salaire. Ils sont pires qu’en grève. Ils ne sont plus en service. L’élève est alors contraint de se rediriger en série littéraire. Trois années plus tard, le bac est décroché sans difficulté aucune à l’école William Ponty de Yopougon.
Si son parcours scolaire est marqué de chocs qu’il sait minimiser, celui de l’université ne lui fera pas de cadeau.
Le nouveau bachelier aveugle fonceur est freiné dans son envie d’intégrer l’INFES (Institut national de formation sociale) . « L’école n’acceptait pas de personnes handicapées à l’époque. » L’étudiant N’gbra le prendra comme un affront. En 2002, le jeune gonflé à bloc revient à la charge munie de ses diplômes en psychologie. Cette fois en qualité d’enseignant. Requête toute de suite acceptée par la nouvelle directrice. « Mme Mambo voulait mettre en place un cycle des maitres d’éducation spécialisée qui auraient à charge d’enseigner les élèves aveugles, sourds et muets et de 2002 à aujourd’hui j’y exerce mon métier » relève-ce revanchard occasionnel.
Ce genre de défis sont légion dans l’histoire de N’gbra. Le décès de sa première compagne le met face à une nouvelle responsabilité. Le veuf éduque seul ses trois (plutôt deux) enfants puis fait son deuil six ans après le drame. Avec Patricia, son ancienne élève, N’gbra renoue officiellement avec l’amour le 11 février 2006.
Mais avant à l’université de Cocody, au département de psychologie, quatre ans plus tôt L’étudiant peine à prendre les notes données oralement par ses enseignants. Notre non voyant subit alors humiliation, frustration mais use de beaucoup de courage, patience parfois de rébellion et stratèges pour obtenir licence et maitrise. « Mon professeur refusait de m’octroyer mon diplôme parce qu’il ne souhaitait pas que j’achève mes études. »
Pour la seconde session, une stratégie est mise sur pied. Pendant les compositions, ses copies en brailles sont retranscrites par son accompagnateur en écriture ordinaire sur feuilles. Il obtient ainsi le sésame universitaire.
De ces frasques naitra un homme marqué, motivé, curieux, amoureux de l’outil informatique, gage de son indépendance sociale. « L’informatique vient résoudre les limites des non-voyants. C’est un moyen pour pouvoir communiquer facilement sans l’intermédiaire d’une tierce personne.» ajoute ce parfait autodidacte aujourd’hui concepteur de : Principe du système braille, personnalité de l’aveugle, didactique du braille, l’informatique adaptée,… des modules de son écurie. Son inséparable Android (plutôt IOS) est équipée d’indénombrables applications dont certaines sont siennes. « Cash reader », sa dernière trouvaille et fierté identifie les billets de banque à l’aveugle.
Cette technologie d’identification pour non voyant, N’gbrah souhaite aujourd’hui la partager aux valides des services financiers des Impôts de Côte d’Ivoire. Une reconversion toute réussie qu’il compte immortaliser dans deux livres.

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